Fête nationale : patriotisme ou soumission
Uli Windisch, lors de l’émission Éclairage UW du 31 juillet 2019 (aussi présente sur le site LesObservateurs.ch), répondait à une question qui portait sur la fête nationale suisse et ses mythes fondateurs : comment sont-ils vécus en Suisse, qu’en disent les journalistes et Uli Windisch lui-même.
Nous profitons de l’approche de la fête nationale pour vous présenter ci-dessous sa réponse, toujours d’actualité !
En général, lors de la fête nationale, en Suisse comme dans d’autres pays, vous avez toutes sortes de discours, tout le monde s’en mêle, les médias, les politiques évidemment, et il existe une espèce de tendance depuis un certain nombre d’années où soit les journalistes, soit les historiens sont critiques envers les mythes fondateurs, par exemple vis-à-vis de Guillaume Tell en disant que Guillaume Tell n’a pas existé, qu’il faut le mettre dans les poubelles de l’histoire, alors que ce récit est dans les livres d’histoire. Peut-être qu’un jour il sera supprimé. Il y a une espèce d’attitude rationnelle, rationaliste, qui ne veut pas entendre parler de symboles, de mythes, des personnes qui veulent seulement savoir si un fait a vraiment existé ou non, s’il est concret, mais comme on ne peut rien prouver elles estiment qu’il faut jeter tout ça aux orties. Cette attitude est le signe d’un esprit très étroit qui ne voit l’homme que comme une machine rationnelle qui devrait uniquement raisonner. Il en va de l’image qu’on a de l’homme : L’homme est aussi sensible à l’affectif, à l’émotif, à l’image, aux symboles. Beaucoup de choses sont comprises par les gens par le biais de symboles et de mythes, justement. Mais la plupart des journalistes rejettent cette dimension et disent qu’heureusement on va laisser de côté Guillaume Tell et le passé pour parler de l’avenir, de l’Europe, de la nécessité d’entrer dans l’Union européenne, et pour rappeler qu’il faut être progressiste, ouvert et ne surtout pas revenir aux traditions.
Pourtant, le récit de Guillaume Tell n’a rien de traditionnel, il est transhistorique, c’est un récit puissant en signification, essentiel du point de vue patriotique. Il faut se souvenir de la pièce de théâtre de Schiller qui est mondialement connue, qu’il y a eu trente films sur Guillaume Tell, qu’il y a des monuments, des chapelles pour le célébrer, mais de manière plus large pour célébrer la lutte pour la liberté et contre les baillis qui existaient bel et bien en Suisse. Souvent les gens retiennent seulement le tir de Guillaume Tell sur la pomme placée sur la tête de son fils. Mais voyons un peu ce que cela symbolise : ce récit a été introduit au moment où la Suisse connaissait des vrais baillis qui incarnaient un régime d’oppression; les exactions étaient de plus en plus grandes, et la révolte aussi, bien que contenue. Guillaume Tell n’est pas un intellectuel, c’est un instinctif, proche de la nature, il est au service de sa communauté. Et il y a ce Gessler, le bailli, qui est l’exemple éternel, transhistorique, d’un pouvoir arbitraire, totalitaire, froid, qu’on retrouve partout. Les pouvoirs totalitaires existent encore ! Eh bien ce bailli, avec une pratique inhumaine, absurde, obligeait les gens à saluer un chapeau sur la place publique, un chapeau qui le symbolisait lui, et celui qui passait sous le chapeau sans le saluer était immédiatement arrêté. Et c’est ce qu’a fait Guillaume Tell, exprès bien entendu, même s’il a dit qu’il ne l’avait pas vu. Il a été immédiatement arrêté.
La suite nous montre encore la monstruosité du pouvoir totalitaire, abstrait : Gessler inflige comme punition au citoyen patriote Guillaume Tell, sachant qu’il est un bon tireur, de tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils. Guillaume Tell s’exécute. Il est même encouragé par son fils. Nous voyons là la confiance, le lien avec la nature qui existe chez eux, alors que Gessler est totalement hors nature, il est même mal à l’aise dans la nature. Mais après que Guillaume Tell eut réussi son tir, Gessler remarque qu’il a une deuxième flèche dans son carquois et il lui demande pourquoi. Guillaume Tell, honnête, lui dit: « Si j’avais raté la pomme et tué mon fils, elle aurait été pour toi. » Entendant cela, Gessler ne tient pas sa parole, il le fait enchaîner et on l’embarque sur le lac des Quatre-Cantons afin de l’emmener au château du bailli pour l’enfermer. Mais au cours de la traversée, la tempête se déchaîne et les sbires du bailli qui ont attaché Guillaume Tell n’arrivent plus à maîtriser le bateau. Sachant que Guillaume Tell est un bon navigateur, ils lui enlèvent ses chaînes et lui demandent de prendre en main la barque. Tell parvient à maîtriser les forces de la nature – nous voyons que c’est plein de symboles – et réussit à faire avancer la barque, mais arrivé à proximité du rivage il saute de la barque. Ce saut est le saut de la liberté; il a été dessiné, peint, gravé par des centaines d’artistes. C’est le sens le plus profond de la lutte pour la liberté, un thème essentiel.
C’est donc à ce moment-là que Guillaume Tell décide que Gessler doit être neutralisé une fois pour toutes, et il l’attend dans le fameux Hohle Gasse, le Chemin creux où il le tue d’une flèche. Cet acte, qui déclenche une sorte de révolution de la population, est un acte de libération du pouvoir totalitaire, inhumain et absurde, mais aussi des forces vives du peuple.
Ce récit, dont les journalistes et les intellectuels de gauche se moquent, a quelque chose de très profond, et cela nous montre à quel point le monde intellectuel, rationnel – et bien souvent marxiste – a une image très étroite de l’homme, alors que l’homme a aussi des capacités affectives, émotives, symboliques, par lesquelles on comprend beaucoup de choses. En ce jour de fête nationale, nous avons bien sûr une dimension patriotique pour ceux qui veulent la mettre en pratique, mais en réalité c’est une occasion de fêter justement l’indépendance, la liberté, l’opposition à des pouvoirs étrangers – vous devinez qu’on pense ici aussi à l’Union européenne.
Revivre le récit légendaire de Guillaume Tell est une occasion de revivifier, de redonner courage et force aux citoyens pour qu’ils deviennent actifs et continuent à lutter contre cette volonté, cette soumission des autorités et notamment des forces de gauche de vouloir soumettre la Suisse à l’Union européenne, car il s’agit bien de cela, même si on nous dit que ce n’est pas le cas. Il va de soi que certains traits de l’essence suisse, par exemple la démocratie directe, avec les initiatives et les référendums, le fédéralisme, seraient gravement mis en cause. Mon message pour la fête nationale est donc: « Suivez l’exemple de Guillaume Tell, même si certains en rient et se moquent, continuez à lutter pour les dimensions les plus essentielles de la Suisse : la liberté, l’indépendance, le fait justement d’être patriote ! » Il faut dire une chose, alors que le patriotisme est perçu comme quelque chose de réactionnaire, de bête, de borné : plus on est patriote, plus on a de racines, plus on est ouvert, et c’est sans doute le cas de la majorité des patriotes suisses. Le patriotisme n’est pas une accumulation de notions abstraites, c’est la liberté et la lutte totale, complète pour la liberté, l’indépendance, comme l’incarne Guillaume Tell, c’est cela qui devrait être revécu et qui pourrait redonner de la force, du courage et de la détermination aux citoyens suisses, dans cette phase où certains traits nationaux fondamentaux sont mis en cause.
Voulez-vous en apprendre plus sur le 1er août ? Rendez-vous sur LesObservateurs.ch et cherchez-y « fête nationale du 1er août ».
Vous retrouverez aussi ce discours, ainsi que d’autres interventions et articles d’Uli Windisch dans son livre « La Suisse trahie par les siens », proposé par ces librairies :
Librairie Sparte :
https://sparte.org/produit/uli-windisch-la-suisse-trahie-par-les-siens/
Éditions Les Observateurs :
https://editions-lesobservateurs.jimdosite.com/librairie/la-suisse-trahie-par-les-siens—uli-windisch/