Histoire et défis de notre armée.

La Suisse est une survivance du Saint-Empire Germanique. Elle n’est pas un état central formé autour d’un peuple dominant mais une alliance plusieurs fois centenaire entre petites communautés soucieuses de préserver leur indépendance face aux grands blocs civilisationnels que forment ses voisins.

Ces communautés sont appelées cantons et composent une fédération ou coexistent différentes langues, ethnies, religions et intérêts. Ils sont aujourd’hui au nombre de 26, déléguant une partie de leur pouvoir à Berne tout en restant libre d’appliquer une politique sécuritaire et économique adaptée à leur réalité cantonale.

Du XIIIème siècle au XIXème siècle, une seule chose unissait les cantons suisses : la défense commune. Chaque membre de la confédération possédait à cette époque ses propres forces militaires et les guerres civiles ne furent pas rares. Conscient de leur faiblesse, ils réussirent souvent à mettre leurs différents de côté pour unir leur force lorsqu’un royaume voisin mettait en danger un membre de leur alliance.

Leurs exploits militaires face aux forces habsbourgeoises et l’aridité de leurs terres poussa très vite les cantons à comprendre que leur seule richesse reposait dans le courage de leurs guerriers. L’éducation militaire de chaque jeune suisse était une tradition depuis longtemps établie pour chaque canton qui s’occupait de développer les associations de tir et d’hallebardiers dans les districts. La noblesse locale passait sa jeunesse à guerroyer comme mercenaire pour les différentes cours d’Europe avant de revenir dans leur canton assumer des responsabilités publiques pour leurs vieux jours.

Après que le pape Clément VII dût sa survie au sacrifice de sa garde suisse face aux lansquenets de Charles Quint au XVIème siècle, les qualités militaires du mercenaire suisse devinrent un fait reconnu dans toute l’Europe.

Les Diètes (rassemblement annuel des dirigeants cantonaux) se réunissaient pour négocier avec les ambassadeurs européens le nombre de mercenaires à allouer à chacun et se partager l’or que leur rapportait ces juteux contrats.

Après de nombreux combats fratricides entre des bataillons suisses de camps différents pour le compte de noblesses étrangères, l’invasion française de 1793 signa le début de la fin pour le mercenariat suisse. L’instabilité de la situation européenne poussa les Suisses à renforcer leur union et leur défense nationale plutôt que leurs relations extérieures. La guerre civile du Sonderbund en 1848 entre conservateurs confédérés et libéraux fédéralistes vit la victoire de ces derniers. La Suisse abandonne alors ses forces cantonales au profit d’une armée nationale.

L’armée nationale suisse est le miroir même de l’âme des peuples qui composent la Suisse. Elle est encore aujourd’hui la seule institution nationale qui permet à un banquier zurichois (germanique, citadin protestant) et à un paysan valaisan (francophone, montagnard, catholique) de travailler ensemble pour une tâche qui dépasse leur confort personnel. La défense nationale est, était, et sera toujours le seul facteur commun aux 26 peuples composant la Suisse. Les milieux de gauche cherchent aujourd’hui à dissoudre l’armée car elle représente l’élément le plus identitaire de la nation.

Le service militaire est obligatoire pour tous les jeunes hommes suisses de 18 à 32 ans. L’école de recrue dure 4 mois et des cours de répétitions de 3 semaines sont ensuite prévues chaque année pour que la troupe ne perde pas ses capacités d’action. Le militaire suisse garde une partie de son matériel de service et son fusil d’assaut chez lui lorsqu’il n’est pas en engagement.

Cette règle fait de la Suisse un des pays les plus armés au monde sans qu’il n’y ait pour autant de tueries régulières comme aux USA. De nombreuses associations de tireurs sportifs existent et il est facile d’acquérir une arme dans le privé.

La Suisse n’a plus connu de conflit armé depuis 1848 et son armée est donc de nos jours principalement entraîné pour appuyer les autorités civiles et combattre les catastrophes naturelles.

Il n’en a pas toujours été ainsi.

À chaque conflit naissant sur ses frontières, le parlement suisse élit un général avec des droits spéciaux pour assurer la sécurité du pays. Le grade de général n’existe pas en dehors des périodes de guerre. Le dernier à avoir été choisi fût le général Guisan qui construisit lors de la seconde guerre mondiale un formidable réseau de milliers de kilomètres de tunnels et de bunkers dans les alpes. Le but de cette installation n’était pas de vaincre l’envahisseur potentiel mais de l’épuiser afin de lui infliger le plus de pertes possibles.

Une fois la guerre terminée Guisan quitta ses fonctions mais sa doctrine resta fortement gravée au sein de l’Etat-major. L’armée continua sa politique de fortification du pays afin de le préparer à une éventuelle invasion soviétique. Les tunnels et ponts furent minés, des abris antiatomiques bâtis sous chaque maison et des cellules dormantes sur le modèle « Gladio » mises en place.

C’est pendant cette période que la Suisse abandonna discrètement sa politique de neutralité pour devenir un sous-fifre de l’OTAN par peur de la menace soviétique.

Aujourd’hui les cadres professionnels de l’armée suisse accomplissent leurs stages militaires en France ou aux USA et il n’est pas rare de voir des hauts-gradés arborer des drapeaux états-uniens dans leur bureau. La société MOWAG, qui construit ses blindés, a été racheté par l’américain General Dynamics, et ses avions ont besoin de clés de cryptage pour décoller, gracieusement offertes chaque semaine par un représentant de l’OTAN.

La Suisse est aujourd’hui diplomatiquement soumise aux bons vouloirs de l’UE (dont elle ne fait pourtant pas partie !) et militairement à la volonté du Pentagone. La neutralité suisse n’est donc plus qu’un leurre qui ne saurait convaincre que les cyniques , les naïfs, les serviles et les ignares .

L’armée n’est pas non plus épargnée par le déclin protéiforme qui touche à tous les aspects de toutes les sociétés européennes. De nouvelles directives toujours plus libérales sont mises en place afin que le service militaire devienne le moins difficile possible pour les recrues. L’Etat-Major passe sous la loupe les gradés subalternes comme de potentiels tyrans pendant qu’il met les soldats sur un piédestal afin que leur service militaire se change en séjour de vacance.

Le but avoué de cette politique est de faire la promotion de l’armée dans la société civile. Les Suisses sont appelés plusieurs fois par année aux urnes pour voter sur des sujets variés dont font parties les questions liées à la sécurité du pays. L’armée a donc besoin du soutien du plus grand nombre pour continuer à exister et à développer ses priorités telles qu’elle le souhaite.

Le résultat de cette politique d’infantilisation des recrues est souvent le contraire de celui escompté. En effet, il est aujourd’hui très facile pour un jeune suisse de ne pas faire son service militaire. De nombreuses options comme par exemple le paiement annuel d’une taxe ou un stage d’utilité publique existent pour que les Suisses inadaptés au monde militaire puissent à leur manière apporter leur aide à la Confédération.

Les gens peu ou pas motivés sont donc pour la plupart exclus dès le recrutement et la majorité de ceux restant choisissent leur affectation afin que le service militaire puisse correspondre à leurs souhaits. Le fait de vider le milieu militaire des difficultés et des peines qui forgent l’esprit de camaraderie aura donc comme résultat de dégoûter une jeunesse venue, au départ, vivre la grande aventure.

Bien que moins répandu que dans les autres armées occidentales, le communautarisme étranger existe aussi en Suisse. Depuis 10 ans, de nombreux scandales impliquant des photos postées sur les réseaux sociaux avec des soldats en uniforme s’affichant fièrement avec leur drapeau d’origine sont apparus dans les journaux, relançant fréquemment le débat sur la naturalisation des immigrés dans le pays.

Malgré ses déficiences actuelles l’armée est encore vue comme une bonne école de vie pour la majorité des Suisses. Les instructions et école de cadres sont de très bons niveaux et permettent, dans certaines unités, aux suisses de dépasser leurs limites physiques et psychologiques tout en apprenant à gérer de hautes responsabilités dès un jeune âge.

Bien qu’affaibli, le citoyen-soldat suisse existera tant que durera la Confédération. Ces deux concepts qui font l’identité de la Suisse sont intimement liés et ne peuvent vivre de façon autonome.

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