1291-1315

Texte de Pierre-Maurice Vernay, président et candidat des Démocrates suisses (DS) aux élections nationales du mois d’octobre.

« Cette année, nous fêtons le 700e anniversaire de la victoire du Morgarten, remportée sur les Habsbourg le 15 novembre 1315.

Des intellectuels demi-sel tentent d’attirer l’attention sur eux en prétendant que la bataille n’a pas eu lieu. Tout comme certains tentent de contester l’authenticité du Pacte de 1291.

Les Habsbourg auraient-ils donc cédé face aux Waltstätten par pure bonté ? Comment expliquer les découvertes archéologiques récemment faites sur les lieux, justement en cette année de commémoration, si ce n’est par la bataille décrite par les sources historiques ? Si le rapport de forces n’avait pas été défavorable aux baillis, dans quelles conditions aurait alors été adopté le Pacte fédéral passé le 9 décembre 1315 à Brunnen (SZ), qui renouvelle et enrichit celui de 1291 ?

Notre président de parti Rudolf Keller a souligné l’importance du Morgarten dans un bel article paru cet été. Pour notre part, nous souhaiterions illustrer la pérennité historique des événements de 1315 avec ceux de 1291 à un double point de vue : au travers de leurs acteurs connus, d’abord, et de l’évolution du lien confédéral, ensuite.

Avant de se demander qui étaient les dirigeants des confédérés en 1315, examinons la situation en 1291.

La première source historique est l’alliance des Walstaetten conclue avec Zurich en particulier le 16 octobre 1291.

Sept responsables politiques sont nommément mentionnés par le document. Pour Uri : le Landammann Arnold von Silenen, le futur Landammann Wernher II. von Attinghusen (Attinghausen), l’ancien Landammann Burkhard Schüpfer et Konrad von Erstfelden (Erstfeld). Pour Schwyz : le Landammann Konrad ab Iberg, le futur Landammann Rudolf Stauffacher et Konrad Hunn. On ignore les personnalités dirigeantes d’Unterwald. En effet, ce canton n’a pas directement pris part à l’alliance avec Zurich (il a peut-être été représenté par Uri et Schwyz) et aucune autre source historique ne renseigne à cet égard.

Konrad ab Iberg a été Landammann depuis 1291, puis à nouveau de 1309 à 1311 en remplacement de Rudolf Stauffacher. Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, ce dernier était à la tête du mouvement de libération avec Konrad ab Iberg und Wernher von Attinghusen (« (…) war (…) der eigentliche Führer der Freiheitsbewegung »).

Le 3 juin 1309, les Waldstaetten ont obtenu des Habsbourg leur affranchissement de la juridiction impériale inférieure, leur but de toujours; l’immédiateté impériale a été renouvelée en faveur d’Uri et de Schwyz et nouvellement accordée à Unterwald. Il est établi que Konrad ab Iberg, Rudolf Stauffacher et Wernher II. von Attinghusen, en particulier, ont joué un rôle déterminant dans cette nouvelle étape.

Par la suite, cinq au moins des auteurs du pacte de 1291 ont encore été mentionnés par des sources. Car à la fin du mois de juin 1309, les trois déjà nommés, ainsi que le Landammann Arnold von Silenen (pour Uri) et Konrad Hunn (pour Schwyz), accompagnés de délégués d’Unterwald (que le Dictionnaire historique de la Suisse ne mentionne pas, pour autant qu’ils aient été nommément connus), se sont rencontrés à Stans avec le bailli impérial Wernher von Homberg, notamment pour régler un conflit territorial entre Uri et le cloître d’Engelberg.

Une source de peu postérieure est constituée par une demande adressée au Pape le 12 septembre 1309 pour s’opposer à des revendications de l’abbaye d’Einsiedeln portant sur des pâturages et des forêts schwyzois; Parmi les dix signataires de ce document figurent à nouveau Konrad ab Iberg et Rudolf Stauffacher.

On le voit, des sept dirigeants connus de 1291, seuls Burkhard Schüpfer et Konrad von Erstfelden étaient probablement déjà décédés en 1309 ou, du moins, n’étaient alors plus en mesure d’exercer de fonctions représentatives. Burkhard Schüpfer (mentionné en 1243 déjà et, de 1273 à 1284, premier Landammann d’Uri nommément connu) n’est en effet plus cité par les sources après 1291. Konrad von Erstfelden (mentionné depuis 1275) ne l’est plus après 1294.

Mais que sont devenus les cinq autres héros connus de 1291 ? En particulier, ont-ils participé aux événements de l’automne 1315 ? Sur un plan plus général, quel héritage politique les alliés de 1291 ont-ils transmis ?

Rudolf Stauffacher n’est plus mentionné après le mois de septembre 1309. Konrad Hunn et Arnold von Silenen ne le sont plus postérieurement aux actes de 1309. Konrad ab Iberg l’est pour la dernière fois en avril 1311. Seul Wernher II. von Attinghusen (1264–1321) a certainement survécu à la bataille du Morgarten et aura donc, à l’âge de 51 ans, pu vivre le couronnement de son engagement de 1291 !

Pour ce qui est des plus jeunes, la génération aux affaires en 1315 était composée aussi bien de descendants de dirigeants en fonction en 1291 (au nombres desquels Werner Stauffacher, fils cadet de Rudolph) que de nouveaux représentants, dont Walter Fürst, mentionné par la tradition. En effet, le document du 12 septembre 1309 adressé au Pape est également signé par les fils de Konrad ab Iberg, Konrad (junior) et Ulrich, ainsi que par ceux de Rudolf Stauffacher, Heinrich et Werner.

La transition intergénérationnelle semble ainsi s’être très bien déroulée, aussi bien par succession intrafamiliale que par apport de forces neuves.; les responsables politiques de 1315 qui étaient trop jeunes pour avoir joué un rôle actif en 1291 ont de toute évidence été orientés et introduits aux affaires par leurs aînés, établissant ainsi une continuité politique. La pluralité d’acteurs dans ces différents épisodes prouve que le pouvoir était exercé collectivement.

Le même groupe de personnes est resté en relation étroite durant ces trois décennies, animé d’une ambition commune de renforcer l’alliance au service de la collectivité. La pérennité entre le pacte de 1291 et celui de 1315 est ainsi établie pour ce qui est des personnes à l’œuvre

Le lien confédéral

Car 1315 est aussi relié à 1291 par les accords passés en ces deux années. Le Pacte de Brunnen réaffirme en effet explicitement l’alliance antérieure. Contrairement à l’accord renouvelé par écrit 24 ans auparavant, il est toufefois rédigé en allemand courant, et non plus en latin; en outre, il a été lu publiquement – le 9 décembre 1315 et durant des siècles, en Landsgemeinde – au lieu de rester secret.

Dorénavant, tout un chacun se sait partie d’une communauté revendiquée, d’une entité politique proclamée. Les liens se resserrent d’une vallée à l’autre, le sentiment d’appartenance triomphe dans l’hommage aux morts de la bataille et la célébration de la victoire. Les nombreux succès militaires qui suivront en témoignent rétrospectivement.

Du reste, le parchemin de 1291 n’ayant été retrouvé qu’en 1760, le renouvellement de l’alliance scellé à Brunnen a longtemps été fêté comme l’acte fondateur de la Confédération.

Produit de la solidité dont l’alliance de 1291 a fait preuve en ces jours cruciaux de l’automne 1315, le pacte de Brunnen est tourné vers l’avenir. En effet, il renforce aussi le lien confédéral par son contenu. Puisque les alliances séparées sont désormais expressément interdites. Tous ces éléments constituent une affirmation de force et d’optimisme face à un destin désormais unanimement perçu comme partagé.

Oui, il y a assurément eu fête à Brunnen ce 9 décembre 1315. La jeune alliance apparaît ainsi plus solide encore en cette fin d’automne 1315 qu’elle ne l’était en 1291. C’est notamment à la bataille du Morgarten que nous devons l’extension de la Confédération aux XIVe et XVe siècles (disons, en tout cas jusqu’à la guerre de Souabe de 1499, qui a permis l’entrée de Bâle et de Schaffhouse en 1501, ainsi que jusqu’à l’adhésion d’Appenzell en 1513).

Aussi bien, un siècle plus tard, donc après la perte de l’Argovie au printemps 1415, il ne restera quasiment plus rien des propriétés de la maison Habsbourg dans la Suisse actuelle, hormis le Fricktal. 1315 constitue ainsi une étape essentielle vers la Suisse d’aujourd’hui.

Ces événements historiques nous éclairent quant à la signification actuelle des circonstances relatives à la naissance de notre confédération. Aujourd’hui comme il y a 700 ans, nous devons faire face à des problèmes d’extorsion fiscale, de passage à travers les Alpes et de juges étrangers.

Aujourd’hui comme hier, il s’agit de préserver notre indépendance et notre souveraineté, ainsi que de faire prévaloir notre droit sur notre territoire. Soyons dignes de nos ancêtres ! »

Pierre-Maurice Vernay, président des Démocrates suisses-Vaud

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